Les images de Cartes Postales des Limbes ont été réalisées dans la Ruhr, région qui a choisi de conserver et d'entretenir, après fermeture, ses grands sites industriels. Lieux totalement fonctionnels et univoques, tout entiers recouverts par le signe, sans la moindre concession au symbole, ils subsistent pourtant, à présent, sur le même mode que les pyramides : l'évidence d'une énergie et d'une intelligence investie dans le bâti est là, mais le sens en est perdu pour nous. Ces usines peuvent alors nous apparaître comme les traces déposées d'une passion alchimique délirante entre Prométhée et Gaïa. Les témoins du caractère suicidaire de l'ambition colonialiste.
Cette réouverture au symbolique constitue le lieu possible d'une nouvelle projection imaginaire dans l'espace. Fantasmer ces lieux comme absolument tout autres que ce qu'ils étaient à l'origine, et ainsi tracer une voie vers un autre rapport au territoire, illustré par l'amour et la foi que porte le Stalker pour ces lieux interdits. Comme des cartes postales envoyées depuis la Zone, des invitations à le rejoindre et à ressentir avec lui le soulagement et la douceur qu'il y a à habiter ces espaces, dont on prétend qu'ils sont perdus pour l'humanité, alors qu'ils ne sont perdus que pour celui qui veut se faire maître et possesseur de la nature. Ils ne sont, en tous cas, pas perdus pour le poète.
Et c'est le chien qui montre désormais la voie, car sa légère présence nous rend capables de sentir et d'effleurer, comme lui, le territoire comme pure surface ; "non pour l'amour des décombres, mais pour l'amour du chemin qui les traverse" (Benjamin).